Se
soigner et guérir, par Jacques Salomé
Article
paru dans le numéro 33 du magazine Clin d’Oeil, été
2004.
On me
demande souvent s'il y a une différence entre se soigner et se guérir?
Et le plus souvent je réponds : la différence fondamentale entre
soigner et guérir est la même qu'entre soi-nier et gai-rire,
ce qui veut dire arrêter de se soi-nier et d'être transformé
en soi-niais par des soi-niants Au delà de ces jeux de mots un peu
facile, tenter quand même d'en dire plus sur ma compréhension
des maladies, de ce mal-à-dire qui nous habite quand nous avons engrangé
trop de messages négatifs, trop de violences verbales, physiques ou
morales, quand nous avons oublié de nous respecter pu encore quand
nous nous sommes laissés trop définir par les autres. Et inviter
chacun à entendre les maladies comme des langages métaphoriques
et symboliques, confirmer aussi le lien privilégié qui existe
entre la qualité des relations significatives que nous avons dans notre
vie avec l'état de santé.
Soigner vu du coté du soignant, (même quand il nest pas trop
un soi-niant) c'est tenter de comprendre la cause et de résorber, de
supprimer les effets négatifs de cette cause, d'en supprimer les conséquences,
c'est vouloir réparer, atténuer, voire détruire le symptôme,
c'est essayer d'enrayer la douleur, de diminuer la souffrance ou encore de
restaurer un dysfonctionnement ou de prolonger la durée de la vie.
Alors que guérir ( vu du coté d'un accompagnant en santé
et de celui qui sera en difficulté de santé) supposera d'essayer
d'accéder au sens caché de la maladie. Maladie entendue comme
un langage 4 désespéré, extrême, pour dire et cacher
l'indicible d'un conflit, d'un traumatisme infantile ou actuel, d'une situation
inachevée. Et donc de permettre à la personne malade d'entendre
ce qu'elle crie (avec des maux). La guérison, au-delà des soins
médicamenteux, des traitements chirurgicaux ou médicaux, supposera
donc des soins relationnels qui passent par une écoute de la maladie
entendue comme un langage métaphorique ou symbolique, avec lequel nous
tentons de dire et de cacher (je le souligne à nouveau) l'indicible.
Guérir, dans sa finalité, supposera donc de permettre au malade
de retrouver dans son histoire actuelle et passée la blessure originelle
qui s'exprime, qui se crie avec un mal-à-dire qu'on appelle une maladie
et parfois même une affection. Curieux terme que celui d'affection,
utilisé à la fois pour dire un ensemble de sentiments envers
une personne aimée, recherchée, choisie, et pour qualifier un
trouble, un dysfonctionnement, une souffrance. Le double sens de ce mot devrait
d'ailleurs nous inviter à être plus vigilant, pour tenter d'entendre
le sens profond (lié à l'affectivité maltraitée)
de certaines maladies. Guérir au-delà des soins apportés
pour réduire la souffrance, supprimer le symptôme, ou pour atténuer
un dysfonctionnement, supposerait de permettre au malade d'entendre enfin
ce qu'il ne peut dire avec des mots et qu'il va exprimer de façon silencieuse
mais visible avec des maux, ceci en relation directe ou indirecte avec une
blessure ou une violence reçue dans son enfance ou à une période
cruciale (de vulnérabilité maximale) lors de son développement
Ou encore de retrouver dans son histoire (à partir d'un travail sur
soi relevant d'une démarche centrée sur l'archéologie
familiale et intime) les fidélités, les loyautés invisibles,
les situations inachevées, les missions de réparation, les injonctions
ou les auto saboteurs qui l'habitent.
La médecine d'aujourd'hui, avec les progrès considérables
qu'elle a fait, sait soigner avec une efficacité redoutable et une
rapidité qui séduit, nous surprend, nous émerveille ou
ne nous étonne plus tant cela est devenu normal, mais elle ne sait
pas encore guérir.
On vous enlève un kyste sans même vous ouvrir le ventre, mais
on n'aura pas entendu que ce kyste, par exemple, tente de «parler»
d'un enfant dont vous avez avorté et dont vous n'avez jamais parlé
à personne. Enfant qui tente' à sa façon de se dire,
de se manifester, d'exister.
La médecine est devenue de plus en plus technologique et opérationnelle,
fonctionnelle et institutionnelle, interventionniste et ponctuelle, elle est
de moins en moins relationnelle et intimiste, c'est pour cela qu'elle a beaucoup
de mal à guérir. Car guérir serait une tentative pour
réconcilier un être humain avec les situations inachevées
de son histoire, pour le libérer des violences engrangées autour
des pertes et séparations anciennes ou récentes, pour lui permettre
de renoncer aux missions de réparations ou de fidélités
qu'il a pu se donner dans son enfance, pour l'inviter à un lâcher-prise
sur les conflits intrapersonnels qu'il entretient, bref pour l'aider à
ne pas cultiver en lui, dans son histoire ancienne ou plus récente
tout ce qui pourrait être à l'origine de somatisations ou de
mises en maux, qui vont blesser son corps, maltraiter son existence.
Pour la plupart d'entre nous, accepter d'entendre que les maladies sont des
langages, suppose un “pas de coté”, pour sortir des explications
rationnelles, logiques, pour dépasser les liens de causalité
et accéder à la part d'irrationnel qui habite chacun et aux
changements d'état de conscience qui sont accessibles à tout
être humain. Cela se passe quelquefois au travers d'une rencontre qui
se révèle interpellante, bousculante. Il y a ainsi des rencontres
magiques, rencontres imprévisibles, inattendues qui se font dans une
autre dimension que la rencontre physique, on pourrait appeler cela rencontre
d'âme à âme. Cela peut être aussi une rencontre physique
de personne à personne mais peut être aussi passer par des lectures,
l'écoute et le retentissement d'une phrase entendue à la radio
ou par des échanges et des partages plus structurés lors d'une
session de formation ou d'une démarche de changement dans un groupe
d'éveil, de thérapie...
Il appartient à chacun de tenter de se responsabiliser pour rester
dans une écoute respectueuse et dynamique des innombrables langages
qu'utilise notre corps pour se faire entendre. En se rappelant qu'il est notre
meilleur compagnon de vie, que c'est avec lui que nous allons parcourir l'essentiel
du chemin et c'est bien avec lui encore que nous irons jusqu'au bout de notre
existence. En tentant de rester, ce que je souhaite à chacun le plus
vivant, le plus créatif et le plus dynamique possible pour pouvoir
passer de l'autre coté, cela s'appelle mourir, toujours vivant et en
santé.
Vous
pouvez retrouver, présentés sur le site internet du Magazine
Psychologies :
chaque mois les chroniques de Jacques Salomé
chaque semaine ses commentaires à une situation vécue par une
lectrice ou un lecteur.
http://www.psychologies.com/cfml/chroniqueur/l_chroniqueur.cfm?idc=3
(rubrique "Archives Chroniques")