La dimension spirituelle dans le soin, besoins
et chemins d’expression du patient, missions des accompagnants
Par Professeur Claude Rougeron
Arrivé désormais au carrefour de mon existence, je sais que la
vie est faite pour être belle. J’ai la conviction que la lutte pour
la vie, cœur de notre vocation médicale, est toujours récompensée.
A travers l’amour de soi, l’amour de l’autre, voire l’amour
de l’Autre.
Il y faut simplement une juste dose d’humanité. Qu’on l’appelle
compassion, humanisme, sollicitude, ce regard d’un homme sur un autre
homme est, à mon sens, l’essentiel de l’art médical.
Ni la technique, ni l’accélération du temps, ni l’exigence
de rentabilité ne doivent nous le faire oublier.
La dimension spirituelle, parmi les autres, existe dans le soin. C’est
pour moi une conviction forte. Plus : j’estime que cette dimension
est incluse dans la notion même de soin. Il s’agit de soigner l’autre,
d’en prendre soin, d’avoir souci de lui. C’est une forme de
sollicitude.
L’écoute, une « écoute qui facilite le quotidien
à vivre », la parole même du malade, voire son silence,
constituent un soin spirituel. Pour moi, cet ensemble va donc bien au-delà
de la « simple » réponse aux besoins spirituels.
Il s’agit d’une véritable qualité de présence,
qui englobe énormément d’émotion, de tendresse, de
gestes, de regards. C’est une sorte d’ambiance puissante, palpable,
une sorte d’arrachement au quotidien. Devant la personne qui meurt et
à qui on tient la main, on a parfois le sentiment d’être
hors du monde, d’être plongé dans une dimension inédite,
bien loin de l’ordinaire.
Il peut s’agir également de prendre soin du patient dans sa quête
de sens. Cela dépasse les symptômes physiques : ce qui est
en jeu, c’est sa vie dans toutes ses dimensions.
Les moyens qui favorisent ce « spirituel » n’appartiennent
à personne. Ils sont accessibles à tous ceux qui environnent le
malade, qui ouvrent un espace relationnel qui est, en fait, l’espace de
sa propre intimité. Il le fera différemment selon l’identité
de l’accompagnant. Il existe ainsi une véritable sélection
dans la parole du malade, qui ne dit pas les mêmes choses à chacun
de ces interlocuteurs. Cela implique une notion d’engagement, de fidélité
de la part de l’accompagnant puis beaucoup de tact et de respect. L’accompagnant
doit respecter cette élection et toujours se demander : « Pourquoi
moi ? »
Le soin spirituel est accessible à tous ceux qui entourent le malade.
C’est le malade qui ouvre son espace relationnel avec telle ou telle personne.
C’est lui qui choisit à qui il livre un besoin, une souffrance
spirituelle. Que cette personne soit un soignant, un représentant religieux,
une garde-malade, un bénévole, un membre de sa famille, un ami,
un voisin, une femme de ménage, c’est le malade qui choisit de
s’ouvrir ou pas.
Selon leur authenticité, leur désir, leur propre cheminement spirituel
ou éventuellement religieux, ces différentes personnes ouvrent
également au malade un champ relationnel, voire spirituel.
Valoriser le corps du malade, pas seulement de façon verbale, mais à
travers le toucher, le geste de soin comporte plus qu’un simple geste
technique. La manière dont une infirmière pénètre
dans une chambre avec une seringue à la main, un médecin avec
son stéthoscope autour du cou manifeste quelque chose du regard qu’ils
portent sur l’homme qu’ils soignent, sur son corps. Il en va de
même de la part de la femme de ménage qui pénètre
dans une chambre avec son balai.
Tout se passe comme s’il nous était demandé d’« être
artiste » dans nos gestes. Les soins de « nursing »,
lorsqu’ils sont faits avec compétence et tendresse, n’ont
pas de prix. Tout est important : la manière de placer, d’arranger
un coussin, un oreiller, la douceur dans le massage des endroits douloureux,
la fréquence à humecter les lèvres pour lutter contre la
sécheresse de la bouche... Tout cela manifeste cette attention et cette
subtile finesse du geste de la personne soignante, profondément animée
par le désir d’aider, de prendre soin de l’autre.
Dans l’acte de soigner, chacun sait (ou devrait savoir) qu’il a
engagé plus de lui-même qu’une compétence ou un geste,
et même plus que le sens qu’il y met. Il existe une parenté
du soin et de l’attention spirituelle au
patient, à sa famille et aux personnes soignantes qui l’entourent,
afin que tous cheminent côte à côte au rythme du malade.
Conclusion
L’idée de soin ne peut être comprise sans la présence
du soin spirituel. Cette dimension spirituelle concerne tous les intervenants :
le malade, sa famille et l’équipe soignante. Elle exige une qualité
de présence, à la recherche d’une alliance, dans le respect.
Biographie
Claude Rougeron. Né en 1952, il soutient sa thèse de médecine
en 1980 puis crée avec son épouse un cabinet de médecine
générale en milieu rural. Dès 1984, il s’investit
dans l’enseignement de la médecine à la faculté de
médecine de Tours. En 1989, il met en place l’enseignement de la
médecine générale à la faculté de médecine
Paris-Ouest où il sera nommé maître de conférence
en 1996 puis Professeur associé en 1999. Son activité dans le
domaine de la formation médicale continue l’amène à
créer des dossiers de formation et identifier un attrait particulier
pour l’accompagnement des personnes en fin de vie et le questionnement
éthique. Il validera un DEA (diplôme d’Etude Approfondie)
d’éthique clinique et biologique à la faculté de
médecine Necker-Enfants-malades en 1995 puis un doctorat de Sciences
biologiques et médicales, option éthique médicale, en 1999
dont la thèse est la dimension spirituelle dans l’accompagnement
des malades en fin de vie. Depuis son installation, il accompagne régulièrement
ses malades arrivant au terme de leur existence, dans toutes les dimensions
de la vie.
Il a participé à la rédaction du premier traité
de médecine générale (Masson 1996), auto-édité
en 2002 « Spiritualité, Ethique et malade en fin de vie »
et en 2003 « L’adolescent et ses parents. Ecoute et parole ».
En 2004, Buchet et Chastel a publié son dernier livre : « Les
vrais secrets d’un médecin »
Il dirige l’Ecole du Collège National des Généralistes
Enseignants dont la mission est la formation des enseignants de médecine
générale.