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Les entretiens de l'éveil

Jean Bouchart d'Orval

Méditer c'est maintenir son attention de façon continue sur cela qui, en nous, connaît ; c'est veiller sur cela qui est éveillé, alerte. C'est observer cela qui est à la fois l'observateur et l'observation. Peu importe s'il y a des pensées ou non, la conscience demeure la même. Quand aucune déformation n'apparaît à la surface, l'eau peut-être reconnue comme eau. Quand une perturbation la façonne, elle devient comme une vague, mais jamais elle ne cesse d'être de l'eau. Aucun mouvement de surface ne peut lui faire perdre son statut d'eau ni lui faire perdre sa nature océanique. Méditer, c'est fixer son attention sur la nature océanique de la conscience. Rien ne peut donc perturber la méditation : en méditation nous ne sommes jamais dérangé par quoi que ce soit, car tout «dérangement» est encore perçu et porté par la même conscience, la même et unique réalité océanique.


— La méditation n'est-elle pas un exercice centré sur soi ? Il y a tant à faire pour aider les autres…

La méditation n'est pas un exercice, c'est pourquoi elle n'est pas centré sur un «soi». Il s'agit de se laisser toucher par le silence profond, dans lequel aucun «moi» n'existe. Dans l'espace méditatif, il n'y a ni «moi» ni «autre» qui puisse être perçu. Si la méditation devient un exercice, quelque chose qu'on pratique comme on s'entraîne au saut en longueur, alors là, oui, cela devient forcément centré sur soi. Est-ce que tout n'est pas déjà centré sur «soi» dans la vie de toute façon? Dès qu'il semble exister un «soi», même aider les «autres» est centré sur soi. Quand le moi paraît réel, il existe toujours une intention derrière l'action et cette intention vise nécessairement à soulager ce «moi». Les autres vont toujours fondamentalement demeurer les autres, c'est-à-dire étrangers au «moi». On n'aime pas les autres ; c'est un non-sens. Ou c'est une mauvaise formulation.

La vérité est que lorsqu'une ouverture se manifeste, quand la vision profonde s'éclaire, il n'y a plus de centre à cette vision et donc plus de périphérie. Le courant de Vie s'écoule alors sans aucune restriction à travers le système nerveux d'un être libre des entraves mentales. Aider les autres veut alors dire cesser de voir des autres là où il n'y a que le Même. Mais un «moi» qui aide les «autres», c'est prétentieux, grossier et ignorant. Comment peut-on espérer soulager la misère des hommes quand on se montre incapable de percevoir sa propre ignorance ? Se sentir ignorant c'est magnifique. Dans la perception de l'errance, il y a un dégagement, un relâchement. Dans ce relâchement, toutes les formes de la Vie sont honorées. C'est peut-être ce qu'on veut vraiment dire par «aider les autres».

— Tout ce que nous faisons depuis des années, de l'astrologie, de la numérologie, toutes les «gies», est-ce que ça fait partie du chemin ou si c'est complètement perdu et que ça ne sert à rien de continuer dans cette direction ?

La question est de savoir si la numérologie, l'astrologie et tout ce qui gît, si tout cela est perdu. Jamais ; il n'y a quoi que ce soit de perdu, surtout si on en est sorti…

— Mais je suis encore dans cela, moi.

C'est la deuxième question… Tout ce que nous avons fait jusqu'à maintenant, c'était parfait. Gardons bien cela en vue. Ce qui est arrivé était parfait simplement parce que c'est arrivé. C'est l'Existence qui a produit cela. C'est l'Existence qui a manifesté votre corps, vos sens, vos pensées, vos désirs, vos actions. C'était parfait. Maintenant, à partir de cela, est-ce que cela sera parfait si on continue la même chose ? Voilà la question pratique.

Il faudrait peut-être d'abord se demander ce que veut dire «être parfait». Qu'est-ce qui détermine si telle ou telle direction est parfaite ? Comment allons-nous mesurer cela en fin de compte? Quand nous persistons, à partir d'une idée cristallisée, à partir d'un concept, à poursuivre une direction qui ne nous mène pas là où nous voulons aller et que ça fait plusieurs fois que nous le vérifions, nous finissons par atteindre un seuil d'intolérance pour la souffrance générée et il est bon qu'il en soit ainsi. Pendant combien de temps allons-nous répéter les mêmes sottises ? (Je ne porte de jugement sur aucune discipline particulière ici, je souligne une vérité universelle). Quand ça fait assez mal, nous changeons, pas avant. Pour s'engager sur une voie spirituelle, il suffit d'atteindre le seuil de l'intolérance envers tout ce qui n'a pas vraiment fonctionné pour nous apporter la paix parfaite et la liberté totale.

— Nous vivons dans un corps. Je commence à me faire à l'idée que je ne suis pas un corps, mais que je suis dans un corps.

Même pas ! C'est le corps qui est en vous ! Nous sommes bien plus vaste que tout ce que nous pouvons imaginer. Le corps, il est perçu par vous ; vous l'appréhendez. Alors, il est en vous ; en vous, la Conscience, la Présence. Dire et croire que nous sommes dans le corps, ce serait en quelque sorte perpétuer la dualité. Nous sommes le corps, bien sûr, mais pas exclusivement, tout comme l'océan est la vague, mais pas de façon exclusive. Est-ce que l'océan est dans la vague ou si c'est la vague qui est dans l'océan ? La Présence, la Conscience, c'est notre nature océanique et il n'y a rien qui soit coupé de cela, ni le corps, ni les pensées, ni les émotions, ni la joie, ni la souffrance.

— Quand on atteint cet état de conscience, on ne souffre plus ? J'essaie de me sortir de la souffrance ; je suis de la génération de la grande souffrance…

Personnellement, si je compare ma vie d'aujourd'hui avec celle d'il y a plusieurs années, je constate beaucoup moins de malaise, de souffrance, d'identification et de doutes. Ça fait des milliers d'années qu'on essaie d'éliminer les causes ou les occasions de souffrance ; ça n'a jamais fonctionné, car il y en a tellement. C'est beaucoup plus simple d'éliminer la personne qui souffre. Pour qu'il y ait souffrance, il faut une occasion de souffrance et surtout une personne qui souffre. Nous savons déjà que c'est impossible de venir à bout de toutes les occasions de souffrance ; personne n'y est arrivé et personne n'y arrivera jamais, car le monde est changeant, rien n'y est permanent. Mais quand on met fin à l'identification à la personne qui souffre, on vient de régler en bloc tout le problème de la souffrance. C'est la seule façon.

— Maintenant - mais ça ne fait pas bien des années - je commence à pouvoir demeurer tranquille et ne rien faire. Dans ces moments-là, je peux voir des figures, parfois des yeux, parfois des couleurs. Ça ne demeure pas longtemps. Est-ce le signe que j'ai atteint un certain état, est-ce la vraie méditation ?

L'état atteint est celui où vous voyez des figures, des yeux et des couleurs… Méditer ce n'est pas atteindre un état. C'est la cessation de ce processus d'atteindre. C'est délaisser le monde du devenir pour celui de l'être. Nous sommes toujours en train d'être et, dans ce sens, nous sommes toujours en méditation, y compris en ce moment même. Mais cet état n'est pas toujours perçu, ce n'est pas toujours clair ; on s'attache aux formes qui se manifestent. Il faut développer sa capacité de discerner l'état méditatif, de discerner la réalité, avant de pourvoir percevoir cette dernière en toutes circonstances. La pratique de la méditation consiste en cela. Tant que les vagues du lac ne se calment pas, nous ne percevons pas l'eau dans sa simplicité, dans son unicité. Nous sommes toujours la Présence, même quand nous voyons des yeux, des couleurs, n'importe quoi, ou quand nous ne voyons rien du tout. L'état de méditation profonde ne consiste pas à suivre une technique, c'est notre état fondamental, notre façon originelle d'exister, que nous recouvrons par la fragmentation mentale, la croyance dans la dualité sujet/objet.

Vous êtres toujours là dans votre intégrité d'existence, dans la plénitude de votre être, peu importe ce que vous faites ou ne faites pas, peu importe si vous rêvez ou si vous faites un voyage astral. Vous demeurez la Présence qui sait, qui connaît ; la Présence qui connaît qu'il n'y a rien à connaître.

— Une fois qu'on a commencé à atteindre cela, est-ce qu'il faut le répéter souvent ?

C'est pour cela que nous avons ces entretiens ! C'est pour se le répéter, autant vous que moi. C'est par la répétition que vient la maturité.

— Il règne une belle ambiance ici, mais demain matin ça sera la jungle. Ce n'est pas facile…

Ce n'est pas facile quand on y croit à la jungle. Au fond, la «jungle» n'est qu'un jeu, un rêve. Comprenez-vous bien l'importance de percevoir cela ? Sinon, il est certain que nous allons nous faire avaler par le rêve et alors ce sera effectivement la jungle. Nous allons y retourner et, par manque d'attention, nous allons recommencer à croire que tous ces gens sont des entités séparées les unes des autres et surtout séparées de la nôtre. Nous allons croire à nouveau au film qui est projeté sur l'écran.

— Mais essayez d'expliquer cela à l'autre…

Nous venons d'établir qu'il n'y a pas d'«autre» !

— Mais les problèmes sont toujours là quand même…

Parce que vous êtes toujours là en tant que personne séparée !

— Donc, demain matin, je n'irai pas travailler !

Voyez : vous êtes encore là en tant que «je» séparé qui ne veut plus aller travailler. Rien n'a changé ! Vous n'aurez plus de problème au travail ; mais vous allez en avoir à la maison… La liberté ne réside pas dans l'action ou dans l'inaction ; elle réside dans la vision. Celui qui ressent un malaise, celui-là devrait travailler sur lui-même, pas sur les autres. Une part importante de nos problèmes vient de ce que tout le monde travaille sur les «autres», sans voir clairement que c'est leur propre malaise qu'ils veulent éliminer. Quand nous sommes à l'aise, le monde entier est à l'aise. À ce moment, naît l'action appropriée, l'action juste ; et ce n'est pas un choix.

Ce que vous exprimez est important, car cela fait ressortir la réalité quotidienne et la pertinence de tout ce dont nous parlons. Si notre philosophie demeure théorique, elle ne vaut strictement rien. C'est sur le terrain de l'action que nous constatons où nous en sommes, en fait d'aisance. Car c'est l'aisance, ou son contraire, qui détermine le progrès accompli. Nous devenons plus à l'aise dans la mesure où nous pouvons cesser de croire que nous sommes quelqu'un et que les «autres» existent en tant qu'entités permanentes et séparées de nous.

L'abandon est la reconnaissance de la Réalité telle qu'elle est. Dans cette reconnaissance, il y a cessation de la confusion et extinction de la souffrance.

 

LIRE : LES ENTRETIENS DE L'ÉVEIL

Nous appelons ces rencontres des entretiens, car nous nous entretenons de ce qui s'entretient, de ce qui se tient entre : entre nos personnes, nos pensées, nos désirs, nos respirations, tout ce qui se tient dans l'apparence de l'existence, avec ses formes érigées dans l'espace-temps. Au cours de ces rencontres, nous nous entretenons de Cela qui se tient entre les formes, derrière elles, en dessous d'elles, avant elles, après elles et surtout pendant elles. Nous cherchons tous la vérité, la joie, l'amour, la paix, toutes sortes de mots pour décrire une réalité sentie très intimement, mais que nous ne voyons pas encore clairement. Il ne s'agit donc pas tant d'enlever ni d'ajouter quoi que ce soit, mais plutôt de laisser venir la clarté, de la laisser monter à la surface. Si cette lumière n'était pas déjà là, nous ne la chercherions pas avec autant d'énergie, mais parce que nous ne la distinguons pas encore assez bien, elle semble nous faire défaut. Le contact direct avec cette clarté sans compromis, voilà ce que nous pouvons nommer méditation. Huit entretiens vivants, avec questions, réponses et humour : le mystère, l’errance, l’attention et la pensée, la liberté et le destin, l’abandon et l’équanimité, les désirs et les exigences, le Divin et l’humain, la vision spirituelle de la physique moderne.

Les Entretiens de l’Éveil, Éditions du Roseau, Montréal..

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