La transformation de la conscience
Eckhart Tolle
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Transcription de la conférence d'Eckhart Tolle, donnée à Hambourg, le 13 avril 2002
Explorons
ensemble quelque uns des grands mystères de l’existence humaine.
Ces choses auxquelles les adultes ne portent plus d’attention, et sur
lesquelles ils ne posent plus de questions. Seuls les enfants le font encore.
Alors que nous sommes assis ici attentifs aux paroles, nous réalisons
qu’il y a une autre dimension que celle des mots. Quelle est cette autre
dimension ? On pourrait dire que c’est le simple espace de silence.
Lorsque la parole émerge, vous entendez les mots et en même temps,
une partie de votre attention se porte aussi sur les espaces silencieux, ou
encore sur l’arrière plan silencieux. C’est très
simple. Il s’agit seulement de remarquer qu’en dehors des mots,
il y a une immobilité intérieure.
Et quelque chose d’étrange se produit quand vous percevez le
silence, ce qui signifie prêter attention au silence. Une chose étrange
vous traverse à ce moment là qui est : dans cet acte de perception
du silence, l’activité mentale, c’est-à-dire le
flot des pensées, cesse durant ce moment ou votre attention se porte
sur le silence. Pour un moment le flot des pensées s’arrête,
pendant que vous écoutez le silence. Cette écoute constitue
l’accès à une nouvelle dimension de la conscience, à
laquelle la plupart des gens ne sont pas attentifs. L’arrêt du
flot des pensées devient possible sans aucune perte de conscience.
Et durant ce moment de perception, d’écoute de cette dimension
du silence, vous êtes entièrement présent dans ce moment,
vous habitez entièrement ce moment, étant en lui totalement.
C’est la raison pour laquelle nous sommes ici, pour accéder à
cette dimension intérieure, pour aller au delà du flot continu
des pensées avec lesquelles la plupart des gens s’identifient
complètement en tant qu’eux même : « moi, le moi
». Le soi est dans chaque pensée, sans distanciation et ceci
constitue l’état d’absence. Mais ici nous entrons dans
l’état de présence.
Autrement, vous êtes entièrement piégé par le conditionnement
du mental, avec tous ses schémas, ses connaissances accumulées,
ses expériences et son passé. Quand vous êtes totalement
confondu avec cela, vous mimez le récit que vous vous faites dans le
mental. Il n’y a aucune liberté en cela.
Donc la possibilité de vivre dans un état de conscience différent
de celui dit normal, s’offre à vous. Donc vous aurez sûrement
déjà remarqué qu’ici, pendant cette conférence,
votre esprit, votre mental pensant n’est ni nourri, ni stimulé.
Et si vous êtes assis ici, tout en étant encore complètement
identifié au flot de vos pensées, vous ressentez déjà
qu’une certaine agitation, une impatience, et un mécontentement
est en train de vous envahir. Et votre mental pensant, de dire : « et
de quoi parle t-il ? Je ne comprends rien ». En fait il ne dit pas grand-chose.
Parce que le mental pensant et le sens du soi qui naît avec l’identification
au mental conditionné, ce sens du soi entièrement fabriqué
par le mental est toujours à la recherche du plus qu’il pourrait
ajouter à lui même. Ainsi, il sera à la recherche de nouvelles
idées à accumuler, de nouvelles croyances : maintenant je sais
ce en quoi je crois ! Ou peut-être de nouvelles émotions qui
deviendront des expériences.
Et donc il ne trouve pas satisfaction ici, car son mental pensant ne reçoit
pas la nourriture qu’il désire, celle qu’il veut s’approprier
pour se sentir un peu plus gros quand vous sortirez d’ici, avec la sensation
d’avoir ajouté quelque chose à ce moi. Cela vient du fait
que le sens du soi est fondé sur « moi », mon histoire
et mon passé
Qu’est ce que vous vous demandez quand les gens vous demandent qui êtes-vous
? L’identité qu’ils vous donnent avec une grande conviction,
« je suis John Smith », ne peut pas être mise en doute.
Puis ils vous raconteront ce qu’ils font pour gagner leur vie. Et s’ils
ont suffisamment de temps, ils vous raconteront une courte ou longue histoire.
Et ceci est l’histoire de « moi ». Puis la personne vous
parlera aussi des rôles qu’il ou elle joue dans le monde, convaincue
de ce qu’il ou elle est : « je suis mère de trois enfants,
je suis comptable, je suis au chômage, j’ai réussi dans
la vie ». Sa petite identité conceptuelle, les idées qu’il
ou elle a dans la tête
Bien sur nous avons tous un rôle à jouer dans la vie, mais de
croire que nous sommes que cela, s’y être identifié, constitue
une terrible prison, un esclavage. Vous pouvez remplir ce rôle sans
croire que c’est ce que vous êtes. Vous pouvez remplir votre rôle
de mère, sans que cette idée occupe entièrement votre
esprit. Autrement, vous serez une mère pour le restant de vos jours
et vos enfants resteront des enfants pour vous. Vous penserez avoir toujours
raison et vous leur dicterez leur conduite. Vous serez emprisonné dans
ce rôle. Le monde est rempli de gens piégés dans le rôle
que la société leur a attribué, leurs rôles conditionnés,
qui sont des structures mentales. Un rôle n’étant rien
d’autre que certaine forme mentale. Des conceptions de l’esprit,
des pensées. Donc c’est un autre aspect de l’identification
au contenu du mental.
Et ce sens de l’identité personnelle « moi », qui
est issu de l’identification au contenu du mental, n’est jamais
à l’aise, ni accompli pendant bien longtemps. Pas pour longtemps.
Ce moi vit dans un état de « pas assez ». Un autre sentiment
accompagne cet état « je ne suis pas encore complet, je n’ai
pas encore réussi, j’ai besoin d’être chez moi, j’ai
besoin de plus de grandir dans le sentiment d’être moi-même
». Et chez beaucoup de gens, l’histoire du moi semble avoir été
un accomplissement, même si ce n’est qu’en surface. Et notre
culture nous dit souvent que les gens célèbres ont réussi,
en apparence, et cela vous donne l’illusion de pouvoir parvenir à
l’accomplissement du sens du soi, fondé sur une histoire. Ce
serait la fin heureuse. Si vous rencontrez des célébrités
ou des gens riches, vous vous rendrez compte qu’ils sont dans le même
état d’esprit que n’importe qui. Ils n’ont pas l’impression
d’être accomplis, ils ressentent la peur, un mécontentement
et un sentiment de manque alors qu’ils ont tout. Ce que je vous dis
ressemble à de mauvaises nouvelles, comme si vous n’aviez pas
la moindre chance de réussir en cette vie ci.
Maintenant, si il vous reste assez de temps, ce sens du soi aura l’impression
qu’il vous reste suffisamment de temps pour vous réaliser, «
j’ai encore 40 ou 50 ans devant moi », et c’est probablement
suffisant pour compléter l’histoire de « moi ». Et
faire en sorte qu’elle se termine bien. Donc on ne se rend pas compte
que ce mécontentement, ce malheur, ce moi problématique qu’on
connaît en direct, ne sont pas un problème personnel, mais une
construction inhérente à la structure du mental. C’est
un dysfonctionnement structurel et non un dysfonctionnement basé sur
le contenu du mental.
Et chaque sens du moi, avec sa propre histoire, sait que cette histoire n’a
pas tout à fait tourné de la manière dont elle aurait
du. Les choses ne se sont pas déroulées de la façon dont
elles étaient censées se dérouler. Et donc vous commencez
à croire que vous pouvez vous accomplir avec le temps. Mais à
mesure que vous avancez en âge, vous vous rendez compte que l’accomplissement
ne se produit toujours pas. Et que l’avenir se rétrécit.
Que font alors beaucoup de personnes âgées, face à ce
rétrécissement de leur avenir ? Elles se tournent de plus en
plus vers le passé. Au moins je peux me raccrocher à cela. Elles
l'entretiennent en y pensant et en en parlant. Si leur identité fabriquée
par le mental est de nature malheureuse et se fonde sur la plainte, car la
vie les a tant maltraitées et a été injuste envers elles,
très bien, c’est mieux que pas d’identité du tout.
Et mieux vaut faire en sorte que cela continue.
Donc de nombreuse personnes sont piégées dans un sens du moi
très malheureux, avec à l’esprit des plaintes continuelles
au sujet de la vie, les gens autour de moi, ce qu’ils me font, Dieu
si il y a un Dieu. Peut-être croient-elles en Dieu ? Ou alors ils diront
« Dieu ne peut pas exister, regardez ce qu’il m’a fait ».
Une fois que vous êtes piégé dans une identité,
elle devient rigide et vous la maintenez en y pensant, ainsi qu’en parlant
à vous-même et aux autres. Vous ne voulez pas lâcher le
moi, qu’importe combien il souffre.
Donc si vous avez
assez de temps, vous vous mettez en quête du plus qui comblerait le
moi, une maison plus grande pour vous sentir plus en sécurité,
quelque chose d’un peu plus important, une plus grosse voiture devrait
faire la différence. Elle est plus grosse que celle des autres. Cette
voiture devient alors une forme pensée. Ce n’est pas la voiture
elle-même qui importe, car ce n’est que du métal, et dans
quelques années ce sera un tas de rouille. Ce qui importe, c’est
la forme pensée « voiture » qui contient le « moi
». Ce moi est la forme pensée qui s’identifie à
la forme pensée « voiture ». Moi, voiture, c’est
ce qui se passe. De plus s’il s’agit d’une grosse voiture,
le moi, l’illusion du moi s’agrandit à travers cette forme
pensée. Pour quelque temps.
Mais peu après, cela ne satisfait plus vraiment le sens du soi, et
il vous faut partir en quête d’une nouvelle chose, c’est
vers ce plus que vous courrez continuellement afin de parachever le moi. C’est
un besoin psychologique qui lui est inhérent. Tout le monde compte
sur le moment suivant, le futur, car cela donne l’impression de pouvoir
obtenir ce dont on a besoin pour compléter ce « moi ».
Et à ce moment là leur vient l’idée d’une
maison, d’une maison plus grande que la voiture. Alors surgit à
nouveau la forme pensée du moi qui devient la forme pensée de
ma maison, ma, mon. Ma, c’est une histoire triste et intéressante
de dire « ma » ou « mon », la mienne ». Les
enfants apprennent cela très tôt. C’est une de la première
chose qu’ils apprennent. Cela marque le commencement du moi, du moi
égocentrique, cela est à moi.
Et donc cela constitue une idée qui se développe et la civilisation
entière se focalise sur l’idée de posséder quelque
chose, l’idée de propriété. Si vous examinez cela
clairement, vous voyez que le fait de dire « je suis propriétaire
de ceci, de cette table, de quoi d’autre que ce soit, de cette maison,
de cette voiture dont on dit c’est la mienne »… Mais qu’est
ce que cela veut dire ? C’est une histoire que vous êtes en train
de vous raconter à ce sujet, une histoire qui devient une forme pensée.
Supposons que vous soyez fou, vous compteriez peut-être cette histoire
« je possède ce grand immeuble de bureaux de 20 étages
». Vous passez chaque jour devant en vous disant « c’est
à moi ». Il est maintenant tout à fait possible que le
reste de la société soit d’accord avec votre histoire
et vous donne un morceau de papier pour reconnaître votre accord. Par
contre, si vous croyez que vous possédez quelque chose, et que personne
n’est d’accord avec vous, on vous prendra pour un fou. Mais si
les gens sont d’accord, ils vous considéreront comme quelqu’un
de riche. Cette richesse est importante car elle rend votre histoire plus
imposante. Jusqu’à ce quelle redevienne triste. Ceci pour vous
montrer quelle importance prennent les concepts dans votre vie. Ces concepts
amènent les gens à vivre dans un sens de l’être
conceptualisé, rien que des concepts mentaux.
Dès que vous vous installez dans ce moi conceptualisé, vous
vivez aussi dans une réalité conceptualisée, car vous
percevez toute cette réalité à travers un être
fabriqué par le mental « le moi ». Et c’est ce qui
donne cette compulsion à interpréter immédiatement et
à cataloguer chaque expérience, chaque perception. Et ceux qui
sont très habiles à cela, ceux qui savent rapidement cataloguer,
analyser les choses, enregistrer l’information, la restituer, dissèquent
les choses en tout petits segments, afin de les examiner, ou ceux qui s’y
connaissent en concepts, on les qualifie d’intelligents. Et si vous
êtes très doué pour disséquer de petits éléments
de connaissance en encore de plus petits fragments, alors vous obtenez un
doctorat. Si vous êtes allé à l’université,
vous savez combien sont minuscules les fragments sur lesquels les gens effectuent
leurs recherches.
Et c’est cela la condition humaine. Et ce besoin du plus n’est
pas seulement un besoin personnel, car ce sentiment de soi devient un sentiment
collectif de soi, par l’intermédiaire des entreprises, des sociétés
commerciales, des nations, des tribus, des organisations. Celles-ci sont toutes
créées par ce moi conceptuel dont elles sont l’expression,
une expression collective de cela. C’est facile à voir quand
on considère une immense société commerciale et son aptitude
à croître. Regardez par exemple l’effondrement récent
d’Enron Corporation aux Etats-Unis : gigantesque ! Et vous vous apercevez
que la société entière était dominée par
le besoin avide de « toujours plus ». Et donc c’est facile
de dire « regardez comme cette entreprise est corrompue ». En
fait elle n’est qu’un ego à grande échelle.
Et le soi, cette entité, ne se préoccupe donc au fil de sa vie,
que de deux choses importantes : la première, c’est le mouvement
du désir, celui de vouloir plus, et la deuxième un mouvement
de protection, « je ne veux rien perdre du peu que j’ai déjà
». Ces deux mouvements sont « Vouloir » et « Avoir
peur ». Désir, peur. Les êtres humains évoluent
entre les deux. L’origine des actions entreprises par le soi égocentrique
est soit le désir avec le besoin d’avoir plus, soit la peur avec
le besoin de protéger le moi.
Chaque être humain est dans cet état d’esprit, son petit
soi à la recherche de ce que je peux obtenir. Ou encore, cette personne
représente-elle une menace pour moi ? Donc l’esprit humain regarde
chaque personne qu’il rencontre avec les yeux de la peur et du désir.
Et c’est comme cela que vivent les humains. Mais autre chose vient aggraver
la situation aussi fabriquée par le mental. C’est d’avoir
des frontières clairement délimitées et qui ne sont que
pensées bien sur. Des frontières entre moi et le reste du monde
y compris les autres. Et avec cela vient le besoin toujours inconscient pour
ce sens du moi, de se définir plus fortement par l’opposition.
Le petit soi a besoin d’ennemis quelque part, car sans eux, le sentiment
d’identité ne serait plus assez solide, et deviendrait changeant
Vous pouvez voir cela sur le plan collectif en observant comment les religions,
les nations, les différentes églises et les tribus, aiment toutes
leurs ennemis. Elles les aiment, non pas dans le sens que Jésus leur
a enseigné, mais afin de définir et de renforcer leurs sentiments
d’identité. Les chrétiens ont fait cela pendant longtemps,
et certains le font encore. Les musulmans le font beaucoup ces temps ci. Définir
son identité à travers le fait d’avoir un ennemi, n’est
pas spécifique à une religion, n’importe quelle religion
s’y prête, les nations le font aussi. Qui seriez-vous sans un
ennemi qui renforce tant le soi illusoire ? Et sur le plan personnel, cela
signifie que vous avez besoin de problèmes. Une fois encore c’est
inconscient, et cela fait parti intégrante du mental. Nous connaissons
tous des gens qui sont attachés à leurs problèmes, car
c’est toujours plus facile de le voir chez les autres que chez soi !
Donc l’identité de tant de gens, fondée avant tout sur
une histoire, est basée sur une accumulation de problèmes et
de conflits dans leur vie. Et quand vous leur demandez des nouvelles, ils
vous racontent leurs problèmes. Si c’est cela la condition humaine,
sur le plan personnel ou collectif, nous pouvons donc comprendre pourquoi
l’histoire des êtres humains paraît si démente, folle.
Lisez l’histoire du vingtième siècle, c’est un cauchemar.
Et si vous regardez les nouvelles à la télévision ce
soir, cela continue! Donc le monde que les êtres humains ont créé
est une expression, une manifestation de leur état de conscience, ou
plutôt de leur état d’inconscience.
Nous voyons maintenant pourquoi l’histoire est ce qu’elle est,
et ce depuis que l’homme a commencé à la consigner. Il
y a un élément de dysfonctionnement ou de folie très
fort dans le psychisme humain. Et tous les grands maîtres ont vu cela,
le Bouddha, Jésus, les sages de l’Inde, tous ont observé
ce dysfonctionnement énorme de la condition humaine. Le Bouddha l’a
appelé souffrance, en disant que la condition humaine est un état
de souffrance. Jésus l’a appelé « Péché
». Bien sur ce mot a été souvent mal interprété.
En Inde, ils appellent cela illusion. Tous ont observé cela et ils
ont vu aussi qu’il y avait un moyen d’en sortir.
Un état de conscience différent est possible pour l’humanité.
Le Bouddha l’appelle « la fin de la souffrance ». Jésus
l’appelle « le salut ou le royaume des cieux ». Dans les
enseignements de l’Inde, on appelle cela « libération ou
illumination ». Enfin et bonne nouvelle… mais vous avez peut-être
remarqué que de voir la condition humaine, telle qu’elle est
déjà libérateur. Et c’est nécessaire, car
s'il n’y a aucun changement dans l’état de conscience de
l’homme, la planète et l’humanité ne survivront
probablement pas plus de cent ans. Car se dysfonctionnement est maintenant
amplifié par les moyens scientifiques et la technologie.
Pour la première fois, l’humanité se trouve confronté
à la possibilité de provoquer sa propre extinction. Et c’est
pourquoi aujourd’hui, un nouvel état de conscience doit émerger
chez les être humains. Et c’est du fait de cette situation, qu’un
nouvel état de conscience est en train d’apparaître. Maintenant
que je suis en train d’ajouter une nouvelle idée à votre
esprit, ce n’est pas ce que je veux faire. Certains d’entre vous
me demanderont peut-être : comment savez-vous qu’un véritable
changement est en train de se produire ? Comment savez-vous cela ? Cette réunion,
ici même, fait partie de cette transformation de la conscience humaine.
Nous arrivons donc maintenant au coeur du sujet : la possibilité d’une
transformation de la conscience, celle qui est en train de se produire ici.
Pourquoi ? Comment ? Comment nous sortir de milliers d’années
de conditionnements ? Et le petit soi de dire « Oh mais c’est
très intéressant », « Oh oui ; je veux me transformer
» Et il ajoute : « dites m’en plus, expliquez moi comment
faire ? Comment puis-je y parvenir ? ». En d’autres termes, une
nouvelle image prend forme mentalement, celle de moi parvenant à un
état de conscience, un idéal. Donc la grosse voiture n’a
pas marché, la grande maison non plus, une position plus élevée
dans la société n’a pas suffit à combler le moi,
trois mariages n’y sont pas parvenu, ni des expériences, ni des
voyages, ni un doctorat. Mais à présent il y a la possibilité
d’ajouter au moi l’accomplissement ultime. Et c’est alors
que vous devenez un chercheur spirituel ! Et vous ne réalisez pas que
c’est avec le même état d’esprit, le même besoin
de plus et d’un avenir pour compléter le moi, qui est encore
à l’oeuvre.
Et puis après vingt ans de recherches, vous commencez à être
un peu fatigué. Plusieurs fois vous avez vraiment pensé avoir
trouvé. La grande expérience. Qui s’est soudainement évanouie
dans le passé. Et alors vous êtes devenu quelqu’un qui,
un jour, a eu une grande expérience. C’est mieux que rien. Vous
pouvez en parler, y penser, vous sentir malheureux à ce sujet. Quelques
années plus tard c’est devenu une habitude. Alors le soi fabriqué
par le mental dit « dites moi comment y arriver, quelque soit le temps
qu’il faut. D’ailleurs, donnez moi du temps et j’y arriverai
». C’est ce que vous obtenez dans certain enseignement qui vous
donnent satisfaction, et qui disent « il y a 12 étapes ».
Cela vous permet de savoir exactement où vous en êtes «
j’en suis à la quatrième étape, et toi ? »
Donc certains enseignements comportent douze étapes et seul celui qui
a atteint la treizième devient le chef du groupe.
Donc le soi créé par le mental vit dans le temps. C’est
le passé qui lui donne son identité et c’est le futur
qui détient la possibilité de son accomplissement. Tout ceci
est donc lié au temps. C’est pourquoi le sentiment de soi et
le temps sont si importants et expliquent l’importance du temps dans
notre civilisation. Le temps est quelque chose d’étrange. Il
ne cesse de s’écouler et pourtant ce qu’on entend le plus
à son sujet est « je n’ai pas le temps, je n’ai pas
assez de temps ». Il y a tellement de temps, il est partout le temps.
Le temps est un mystère très étrange, un grand mystère.
Il semble si réel. Personne ne peut le nier, puisque nous passons du
temps ici. Vous passez du temps à venir ici. Et très bientôt
ce sera terminé, car le temps passe et avant même de vous en
rendre compte, vous rentrerez chez vous. Le temps passe ! Vous ne pouvez arrêter
l’animal, il vous entraîne avec lui. C’est comme si vous
étiez dans un train express qui ne s’arrête jamais et que
voyez le paysage défiler ! Même notre réunion d’aujourd’hui
qui pendant longtemps n’a été qu’un événement
à venir qui va se rapprocher de nous : trois jours encore, puis deux,
puis un jour, puis il est là, puis il passe ! Ce n’est que cela,
le train express est parti dans le passé en venant du futur. Il s’est
lentement approché. Plus il était loin, plus il était
lent, et soudain il arrive. Et avant que vous n’ayez réalisé
ce qui se passe, il a déjà disparu. Tout est si éphémère.
Avant que vous ne vous ayez rendu compte de quoi que ce soit, tout s’évanouit.
C’est étrange ! Il y avait un poète qui parlait du temps
comme un feu qui nous consumerait tous et d’une certaine manière
c’est vrai, car le feu ne laisse derrière lui que des cendres.
Et c’est ce qui restera de nos corps. Consumés par le temps.
A Noël, j’ai rendu visite à de vieux amis que je n’avais
pas vu depuis longtemps. Et en les voyant j’ai d’abord pensé
qu’ils devaient être malades. Et puis je me suis rendu compte
que non, et que c’était le temps qui les avait rendu comme cela.
Quelle horreur, c’est le temps qui vous a fait cela ! Je n’ai
pas dit cela mais…
Le temps est donc quelque chose de bien étrange. Il semble que nous
ne puissions pas y échapper et d’un autre côté,
nous n’en avons jamais assez et il nous consume. Mais il y a encore
quelque chose d’étrange : le temps, en réalité
est à la fois passé et futur. C’est cela le temps. Mais
le plus étrange, c’est qu’en fait vous ne vous trouvez
jamais en présence ni du passé ni du futur. Jamais. Donc la
chose étrange est que « maintenant » est toujours la seule
chose qui soit. C’est toujours maintenant.
Ainsi, bien que cela vous paraisse étrange, il ne vous ait jamais rien
arrivé. Vous n’avez jamais rien fait ou vécu quoi que
ce soit dans le passé. Ce qui vous est arrivé, quoi que ce puisse
être, est obligatoirement dans le présent. Et comme le futur
n’arrive jamais, bien sur, quand il arrive, c’est maintenant !
Ainsi, même quand on se rappelle du passé, le souvenir n’est
qu’une trace de mémoire à laquelle nous prêtons
attention « maintenant ». Ce dont on se souvient, la forme pensée,
ne peut surgir que « maintenant ». Donc le souvenir doit donc
se dérouler obligatoirement dans le maintenant. Vous ne pouvez jamais
échapper à « maintenant ». Nous réalisons
cette chose étrange qu’en réalité, il n’y
a ni passé, ni futur, ni avenir dans votre vie. Le futur est ce qu’on
envisage « maintenant ». Par conséquent, il n’y a
pas de vie en dehors de « maintenant ». Donc, et cela peut paraître
paradoxal. D’un côté le temps semble très puissant,
il semble très réel et paraît nous affecter. Et pourtant
si vous y regardez de plus près, il est introuvable. En regardant le
temps, tout ce qu’on y trouve, c’est l’instant présent.
Alors, quelque soit les effets du temps sur le corps, si au bout du compte
le temps n’est pas réel, et peut-être que le corps ne l’est
pas non plus, et que tous deux sont deux aspects de la même illusion…
Mais mettons ceci de côté pour l’instant.
Et réalisons que notre vie entière se passe dans cet espace
du maintenant. Elle n’a jamais été en dehors du maintenant
et ne sera jamais en dehors du maintenant. Chose étrange, quand les
gens sont piégés dans leur identité égocentrique
fabriquée par le mental, tout ce qui compte pour eux est le passé
ou l’avenir. Autrement dit, ils s’intéressent à
tout sauf à ce qui est réel. Et ceci leur échappe presque
continuellement. Et le moment présent est au mieux une marche qui leur
permet d’atteindre le moment suivant. Et très souvent j’essaye
d’échapper au moment présent, je résiste, je ne
l’aime pas, je suis en route pour un autre lieu bien plus important,
c’est le moment suivant. C’est là que je vais découvrir
ce que je suis. Nous arrivons à une petite ouverture maintenant, une
ouverture qui au début paraît très petite, et qui se situe
au delà du mental conditionné. Elle mène à la
libération de milliers d’années de conditionnements au
travers de l’accès au pouvoir qui réside caché
dans le moment présent. On pourrait dire que la transformation de conscience
qui s’opère ici, est de simplement découvrir une nouvelle
relation avec maintenant.
Une relation nouvelle avec maintenant. J‘ai parlé plus tôt
du besoin que ressent le soi fabriqué par le mental, d’avoir
des problèmes et des ennemis. Et on pourrait dire que le pire ennemi
de ce soi fabriqué par le mental, est le maintenant. Les gens ne réalisent
pas qu’ils ont fait du maintenant un ennemi. Mais la transformation
de la conscience n’est pas quelque chose qui pourrait vous arriver à
un moment donné de la vie. La transformation de la conscience consiste
à simplement s’aligner sur ce moment présent. Et cela,
vous ne pouvez le faire que maintenant. Est-il possible de vivre de cette
manière ? De telle sorte que vous accueillez ce moment, le seul qui
soit à jamais, c’est toujours ce seul moment, il n’y a
jamais que lui, c’est celui là, quelque soit sa forme vous l’accueillez.
Maintenant le petit moi dit « non cet instant présent ne me plait
pas du tout, je veux y échapper, il ne participe pas à mon accomplissement.
En fait c’est un obstacle aux buts que je voudrais atteindre, c’est
un obstacle à mon histoire». C’est cela que représente
le maintenant pour le moi. Et le petit moi renchérit « ce maintenant
est en train de saboter ma vie, mon histoire ». Voilà pourquoi
j’ai besoin d’arriver au moment suivant. Vivre ainsi en résistance
continuelle au maintenant constitue le dysfonctionnement structurel. La possibilité
s’offre à nous maintenant de dire oui à ce moment, parce
qu’il est, parce qu’il est constamment tel qu’il est. Et
vous pourrez crier, hurler, vous plaindre, il restera tel qu’il est.
Et le petit soi de dire « oui mais, je voudrais améliorer la
condition du monde, je voudrais que le monde soit meilleur, ce moment est
épouvantable, je ne veux pas accepter cette chose horrible ».
Alors vous prenez la fuite, vous fuyez ce moment. Que se passe t-il alors
? En vérité, dans la forme que prend ce moment, et celle ci
change continuellement, il y a l’espace du maintenant dans laquelle
la forme apparaît, puis elle disparaît, mais en réalité
elle demeure en tant qu’espace du maintenant. La forme s’étant
évanouie, le mental projette le passé pour intégrer ce
qui vient d’arriver, mais en réalité tout se passe dans
l’espace du maintenant. Tout survient dans le maintenant, puis tout
se modifie. Tout survient continuellement dans l’espace du maintenant.
Il n’y a donc qu’un seul moment, qu’un seul maintenant,
il ne vous quitte jamais, pas plusieurs moments, mais il y a plusieurs formes
que ce moment peut prendre. Et quelque soit la forme que prend ce moment,
quoi qu’il arrive, il ne s’agit pas d’un événement
séparé, car il n’y a pas d’événements
séparé.
Nous savons grâce aux enseignements traditionnels et à la physique
moderne, que tout est interconnecté, et qu’il n’y a pas
d’entité ou d’événements séparés.
Et cela veut dire que ce qui apparaît dans le maintenant, ce qui se
passe dans le maintenant, est une expression de la totalité, et cela
signifie qu’il ne pourrait en être autrement. Le cosmos dans sa
totalité a généré cela. D’où le caractère
inévitable de la forme que ce moment peut prendre. Quand vous reconnaissez
le caractère inéluctable de ce qui est, vous voyez alors la
folie d’y résister. Car cette résistance ne fait que renforcer
cette entité « moi ». Elle renforce cette illusion. C’est
pourquoi le petit moi aime faire du maintenant son ennemi.
Et quand vous prenez conscience de cela, alors s’offre à vous
la possibilité de vivre différemment. Et intérieurement,
vous vous accordez au maintenant. Cela veut dire que vous permettez à
ce moment d’être tel qu’il est. Le Bouddha a utilisé
le mot « suchness », c’est à dire le fait que les
choses sont telles quelles sont. Et le petit moi de dire « non, rien
ne changera jamais, et vous resterez coincé dans cet insupportable
maintenant pour le restant de vos jours ». Mais il ne se rend pas compte
qu’il a été coincé dans ses propres schémas
mentaux toute sa vie. Quand vous permettez à ce moment d’être,
vous lui dites oui, oui, ce oui signifie la fin de millier d’années
de conditionnements collectifs. Le non au maintenant, la réaction,
le non qui réagit à ce moment, à la forme que prend ce
moment, renforce la forme psychologique du moi.
Mais avec un oui, quelque soit la forme que prenne la situation, si vous lui
apportez un oui, alors quelque chose d’étrange se produit. Vous
pouvez dire que soudainement un espace se forme autour de ce qui arrive. Et
l’espace intérieur émerge également, un sentiment
de vastitude. Et ceci est l’émergence de la conscience inconditionnée.
Et il y a une immense intelligence au sein de cette conscience inconditionnée.
La conscience conditionnée, c’est le mental humain, qui n’est
qu’un aspect partiel de cette immense intelligence « une ».
Donc quelque chose arrive, cela peut-être un défi qui survient
à un moment donné de votre vie. La vie fait cela parfois. Cela
se produit dans le champ du maintenant auquel vous ne résistez pas,
mais à qui vous lui accordez simplement votre attention. Vous regardez
cela. Cela apparaît et vous lui donnez simplement un flot continu d’attentions.
Vous regardez. Et ceci est un changement énorme, la capacité
à être simplement là, avec ce qui est dans cet état
de vive attention. Et dans cet état de vive attention, une immense
intelligence est à l’oeuvre. Et si l’action est nécessaire,
elle se produira et elle résultera non pas d’une résistance,
mais de cette intelligence qui n’est rien d’autre que cet état
de présence consciente. Il arrive souvent aussi qu’un facteur
extérieur surgisse soudainement, ce que requiert une situation donnée.
Par exemple un événement simultané. Etant maintenant
connecté à cette intelligence une, qui n’est pas limitée
à votre cerveau, vous pouvez donc maintenant accueillir la vie dans
cet état d’ouverture quoiqu’il arrive, même si en
surface les choses paraissent mauvaises. Il ne peut en être autrement,
on ne peut pas discuter avec ce qui est, donc autant l’accueillir à
bras ouverts.
Mais, me direz-vous, n’y a t-il pas dans la vie des situations épouvantables,
des injustices, des violences, des gens commettant des choses atroces envers
les autres… Etes-vous en train de me demander de ne rien faire ? Observez
ce qui se passe. Vous êtes là en tant qu’espace de l’intelligence
inconditionnée. Mettez vous dans une situation, non pas en tant que
petite entité combative peureuse, en colère et qui voudrait
créer un monde meilleur à partir de sa colère. Voyez
par vous même qu’un monde véritablement transformé
ne peut naître que d’un état de conscience transformé.
C’est tout ce que nous avons besoin de réaliser, comme je l’ai
déjà souligné plus tôt, la possibilité d’accueillir
tout ce qui se passe maintenant dans un état de « oui ».
Et soudainement le portail s’ouvre, laissant l’intelligence inconditionnée
s’exprimer à travers vous et commencer à opérer
dans votre vie. Vous êtes alors vécu par la vie. Alors vous pouvez
vous promener, observer les choses, les laisser être totalement, que
la compulsion de les cataloguer mentalement n’est plus là. Vous
n’êtes donc plus coincé par les étiquettes, les
concepts, les pensées. C’est cela, s’éveiller du
rêve de la pensée. Cela ne veut pas dire que la pensée
ne se produit plus, mais elle n’est reconnue comme n’étant
que pensée. Vous la voyez pour ce qu’elle est ? Le fait de voir,
c’est la conscience inconditionnée. Ici nous ne pouvons que la
désigner, au travers des mots, mais le véritable enseignement
est de percevoir l’espace à partir duquel naissent les mots.
Certains d’entre vous ont étudié le zen… de quoi
cela parle t-il ? De ceci, du refus sans compromis de quitter « maintenant
», sauf pour des questions pratiques : nous nous rencontrerons demain
à telle heure ? OK ! Retour à maintenant, maintenant.
Si on demande aux maîtres zen quel est le sens du zen, certains vous
frappent, d’autres vous donnent des explications absurdes, mais…
Il y avait un maître qui était devenu célèbre,
car tout ce qu’il faisait, était de lever le doigt quand on lui
demandait « Pouvez-vous nous expliquer le zen s’il vous plait
? » Oui (en levant le doigt… puis long silence).
Maintenant le dernier secret, le secret de maintenant, c’est de sentir
ce maintenant directement, non pas en tant que ce qui s’y passe, mais
en tant que le champ sous-jacent. Et alors vous réalisez que le «
maintenant » n’est pas vraiment séparé de ce que
vous êtes, parce que vous êtes ce champ de présence consciente.
Différentes personnes ont utilisé différents mots pour
le dire : c’est simplement « l’êtreté »,
la présence : je suis, mais je ne suis plus ceci ou cela. Quelque part
dans la bible, Dieu se définit lui même quand on lui demande
qui es-tu ? Quel est ton nom ? Dieu répond « je suis celui qui
suis, je suis cela que je suis ». Je suis, c’est l’essence
de l’être.
Ainsi, votre identité n’est plus cette petite histoire, mais
ce champ, cet espace. Donc votre pratique spirituelle consiste simplement
à dire « oui » au maintenant. Et souvent le vieux «
non » refera surface, la vague de résistance à ce qui
est. Alors que faites-vous ?
Vous remarquez cette vague de résistance et vous dîtes ho ! ,
il y a un non. Et vous faîtes cela en tant qu’espace de la présence
consciente. Néanmoins, vous vous souvenez quand même de vos rôles,
et de votre passé. Ensuite vous devez continuellement vous ressaisir,
quand vous vous retrouvez aspiré par les concepts, le moi conceptuel,
et vous vous en rendez compte puisque vous devenez malheureux, et que vous
souffrez, vous avez perdu le maintenant. Où est le maintenant ? Mon
passé, mon avenir… ? Et tout d’un coup votre attention
fait psitt… Ho… Il n’y a pas vraiment de problème
ici, n’est-ce pas ? Et puis vous vous perdez à nouveau, et un
objet aspire votre attention. Donc il a un va et vient incessant, et de plus
en plus vous marchez sur le fil étroit du « maintenant ».
Magnifique !
Et là, nous retrouvons à nouveau le paradoxe du temps, je verrai
certains d’entre vous dans ce qui ressemble à demain. Mais quand
je serai avec vous ce ne sera pas demain, bizarre non ?!
Merci.
Vidéo
ou CD de la conférence disponible sur InnerQuest.
Production Bliss Video Production en partenariat avec Eckhart Teaching Inc.
Version française InnerQuest
BP 29 75860 Paris Cedex 18, France - Tel 01 42 58 79 82
Écoute en ligne :
Portes d'accès au moment présent
L'épanouissement de la conscience humaine
- Interview/entretien avec Andrew Cohen.
Veuillez également trouver d'autres textes (ou extraits d'ouvrages) d'Eckhart Tolle, sur les liens suivants :
- En
finir avec la souffrance
- Votre
raison d'être profonde
-
Chapitre
un de l'ouvrage : "Le pouvoir du moment présent".
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Un Extrait
traduit.