Trouvé sur : la-croix.com
Jean Debruynne, au service de la Parole
Prêtre de la Mission de France, poète à l'affût de
la fraternité dans l'ordinaire des jours, le P. Jean Debruynne s'est
éteint samedi 8 juillet au Liban.
À 80 ans, ajoutait-il, « je suis libre d’aller bêcher,
ratisser, semer, arroser le jardin de l’Évangile ». Jean
Debruynne s’est éteint samedi 8 juillet au Liban, où il
séjournait depuis trois semaines pour un spectacle qu’il avait
écrit et qui devait être donné pour les 7 000 ans d’existence
de Byblos. Sa santé s’étant dégradée la semaine
dernière, il avait dû être hospitalisé à Beyrouth.
Prénommé en réalité Jean-Baptiste, il était
né en 1925 à Lille. Son père était originaire de
Stenwoorde, en bordure de la frontière belge. Sa mère était
alsacienne. Des précisions utiles, car Jean Debruynne avait sans doute
hérité d’eux son caractère «un peu frontalier
(1)». Son enfance fut, comme on dit, «sans histoire». Certes,
il n’aimait pas l’école. Quant à l’Église,
elle lui apparaissait une autorité, un pouvoir, et les prêtres,
dont certains étaient aussi ses professeurs, lui faisaient peur, ce qui
a sans doute pesé dans ses rapports futurs avec l’institution.
Ce qu’il aimait alors, c’étaient ces temps de solitude où
il pouvait laisser aller son imagination, rêver de lointains.
C’est à l’adolescence que la vie de Jean Debruynne va basculer.
Avec la guerre, la famille s’installe dans le Lot-et-Garonne. Il y fait
l’expérience de la pauvreté et l’apprentissage de
la différence. Il quitte en effet la ville pour la campagne, des églises
pleines pour une église pratiquement vide. C’est pourtant là,
sur ces terres où apparemment Dieu est absent, qu’il se sent appelé.
« Ma vocation, dira-t-il plus tard, est née de l’absence,
du désert où Dieu n’est pas. Le rien est devenu pour moi
sacrement de la présence de Dieu. »
"Abattre le mur" qui sépare l’Église d’une
partie de la société
Bien sûr, cette vocation va avoir besoin de temps pour mûrir. Un
article paru dans une édition régionale de La Croix sur la Mission
de France va servir de révélateur. « Tout de suite, je me
suis dit : c’est ça que je cherche », confiera-t-il. Aussitôt,
il écrit à cette Mission de France, créée en 1941
à l’initiative du cardinal Suhard pour « abattre le mur »
qui sépare l’Église d’une partie de la société.
En 1943, il entre au séminaire de Lisieux. « Ici, il n’y
a pas de règlement, explique le supérieur. Par contre, il y a
une règle, et cette règle, c’est l’obéissance
au réel. »
Cette obéissance à l’événement, à l’inattendu,
va commander sa vie. Après la Libération, il travaille comme cheminot.
Lui qui a déjà, au contact de la spiritualité de Thérèse
de Lisieux, fait le choix des « petits aux yeux du monde », découvre
alors le monde ouvrier. Il sera ensuite tôlier formeur à la chaîne,
valet de chambre. Au cours de ces stages, il apprend « la dépossession
». Adhérent à la FSGT, organisme culturel dépendant
de la CGT, il découvre aussi le théâtre et les poètes,
Prévert surtout. « C’est incontestablement à lui que
je dois mon écriture », dira-t-il.
Revenu finir son séminaire à Lisieux, il est ordonné prêtre
en 1950 par le cardinal Liénart, évêque responsable de la
Mission de France. Son premier ministère le mène alors à
la paroisse Saint-Hippolyte, dans le 13e arrondissement de Paris. Puis, en 1953,
il devient secrétaire de la Mission de France, dans une période
où celle-ci est remise en cause. Rome décide en effet la fermeture
de son séminaire, puis interdit les prêtres-ouvriers.
Pour Jean Debruynne, le temps est venu d’un nouveau départ. Passionné
par « le symbole et le langage », il reprend des études de
philosophie à Lyon. Il suit aussi les cours de l’école du
jeu dramatique de Jean-Louis Barrault. Et plus que jamais, il écrit :
des poèmes, des chansons, des jeux scéniques.
"Son terrain de mission privilégié, c’était
le monde des jeunes"
Les Scouts et les Guides de France font alors appel à lui. « Il
ne s’est jamais arrêté d’être aux côtés
du scoutisme, précise Claude Moraël, délégué
général des Scouts et Guides de France. C’est lui qui a
écrit le jeu scénique à l’occasion de la fusion.
C’était un résistant de Dieu, quelqu’un qui donnait
envie de suivre l’Évangile. » Le Centre national de la catéchèse
le sollicite aussi. « Son terrain de mission privilégié,
c’était le monde des jeunes, rappelle le P. Jacques Purpan, vicaire
général de la Mission de France. Il avait la préoccupation
de leur annoncer l’Évangile, non en les manipulant mais en étant
à leur écoute. »
La rencontre de Jean Debruynne avec le monde de la police est plus inattendue.
Elle intervient en pleine guerre d’Algérie, pendant la période
noire des ratonnades organisées à Paris. Interpellé par
un inspecteur de police qui lui demande de l’aider à réfléchir,
il le prend au mot. C’est ainsi qu’est né Police et humanisme.
« Il disait “nous autres policiers”, il s’identifiait
à nous. Il nous a accompagnés pendant quarante ans… »,
se souvient Hervé Deydier, président du mouvement, qui reste marqué
par sa jovialité, sa disponibilité et son ouverture d’esprit.
Jean Debruynne servira aussi d’autres mouvements, comme Partage et rencontre,
le Secours catholique, le Mouvement des chrétiens retraités…
"Toujours attentif à celui qui était exclu"
Sa rencontre avec ces derniers remonte à 1984, quand Yves Beccaria, alors
directeur de Bayard Presse, lui demande de devenir rédacteur en chef
de Vermeil. Il vient alors d’être licencié de la Caisse des
dépôts qui l’avait embauché pour mener des enquêtes
sociologiques sur la vie dans les « grands ensembles ». Il accepte.
Au fil de ses déplacements et de ses engagements, Jean Debruynne a ainsi
vécu la mutation de l’Église. « Il aimait son Église,
même si, avec sa manière polie de poète, il n’hésitait
pas à dire ce qu’il pensait. Il était l’homme du plein
vent, toujours attentif à celui qui était exclu », résume
le P. Purpan, marqué par la grande bonté qui émanait de
ses écrits…
Ses écrits ? Ils étaient pour Jean Debruynne un appel «
à vivre » et « à croire », surtout quand tout
devenait trop dur. «Le jour où je ne pourrai plus écrire,
ce sera vraiment la mort, confiait-il d’ailleurs. Jusqu’au bout
de notre vie, nous devons devenir des créateurs.»
Martine DE SAUTO et Pierre SCHMIDT
1) Toutes les citations de Jean Debruynne sont extraites de Jean
Debruynne, l’évangile du poète. Entretiens avec Bertrand
Révillion, Centurion.
Quand vous saurez que je suis mort
Ce sera un jour ordinaire
Peut-être il fera beau dehors
Les moineaux ne vont pas se taire
Rien ne sera vraiment changé
Les passants seront de passage
Le pain sera bon à manger
Le vin versé pour le partage (…)
Pour moi le spectacle est fini
La pièce était fort bien écrite
Le paradis fort bien garni
Des exclus de la réussite (…)
Le soleil a son beau chapeau
La Paix a mis sa belle robe
La Justice a changé de peau
Et Dieu est là dans ses vignobles
Je suis passé dans l’avenir
Ne restez pas dans vos tristesses
Enfermés dans vos souvenirs
Souriez plutôt de tendresse
Si l’on vous dit que je suis mort
Surtout n’allez donc pas le croire
Cherchez un vin qui ait du corps
Et avec vous j’irai le boire…
Jean Debruynne
Sa casquette de marin pêcheur lui donnait cet air de navigateur qu’il était, à sa manière, devenu. La canne qui, ces dernières années, soutenait parfois son pas, disait sa fatigue, due à un cancer, mais aussi son désir de poursuivre le voyage, d’escale en escale. « Quatre-vingts ans, confiait-il d’ailleurs en mai 2005, alors qu’il fêtait, entouré de nombreux amis, son anniversaire, ce n’est pas un sursis ni une prolongation, ni un crédit accordé en prime. Quatre-vingts ans, c’est une naissance. »