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Si tu savais
le don de Dieu et ce qu’est le ciel,
Si tu pouvais d’ici entendre le chant des anges et me voir au milieu d’eux,
Si tu pouvais voir se dérouler sous tes yeux les horizons et les champs
éternels, les nouveaux sentiers où je marche,
Si un instant tu pouvais contempler comme moi la Beauté devant laquelle
toutes les beautés pâlissent …
Quoi ? Tu m’as vu, tu m’as aimé dans le pays des ombres,
et tu ne pourrais ni me voir, ni m’aimer encore dans le pays des immuables
réalités ?
Crois-moi, quand la mort viendra briser tes liens comme elle a brisé
ceux qui m’enchaînaient, et quand un jour que Dieu connaît,
et qu’Il a fixé, ton âme viendra dans le ciel où l’a
précédée la mienne, ce jour-là tu reverras Celui
qui t’aimait et qui t’aime encore, tu retrouveras Son cœur,
tu en retrouveras les tendresses épurées…
A Dieu ne plaise qu’entrant dans une vie plus heureuse, infidèle
aux souvenirs et aux vraies joies de mon autre vie, je sois devenu moins aimant
!
Tu me reverras donc, transfiguré dans l’extase et le bonheur, non
plus attendant la mort, mais avançant d’instant en instant avec
toi, qui me tiendras la main, dans les sentiers nouveaux de la Lumière
et de la Vie, buvant avec ivresse aux pieds de Dieu un breuvage dont on ne se
lasse jamais et que tu viendras boire avec moi …
Essuie tes larmes et ne pleure pas si tu m’aimes !…
Saint Augustin
Quand
nous prendrons conscience de notre rôle, même le plus effacé,
alors seulement nous serons heureux. Alors seulement nous pourrons vivre en
paix et mourir en paix, car ce qui donne un sens à la vie, donne un sens
à la mort.
Elle est si douée quand elle est dans l'ordre des choses, quand le vieux
paysan de Provence, au terme de son règne, remet en dépôt
à ses fils son lot de chèvres et d'oliviers, afin qu'ils le transmettent,
à leur tour, aux fils de leurs fils. On ne meurt qu'à demi dans
une lignée paysanne. Chaque existence craque à Sun tour comme
une cosse et livre ses graines.
J'ai coudoyé, une fois, trois paysans, face au lit de mort de leur mère
— et certes, c'était douloureux — Pour la seconde fois était
tranché le cordon ombilical. Pour la seconde fois, un nœud se défaisait
: celui qui lie une génération à l'autre. Ces trois fils
se découvraient seuls, ayant tout à apprendre, privés d'une
table familiale où se réunir aux jours de fête, privés
du pôle en qui ils se retrouvaient tous. Mais je découvrais aussi,
dans cette rupture, que la vie peut être donnée pour la seconde
fois. Ces fils, eux aussi, à leur tour, se feraient têtes de file,
points de rassemblement et patriarches, jusqu'à l'heure où ils
passeraient, à leur tour, le commandement à cette portée
de petits qui jouaient dans la cour.
Je regardais la mère, cette vieille paysanne au visage paisible et dur,
aux lèvres serrées, ce visage changé en masque de pierre.
Et j'y reconnaissais le visage des fils. Ce masque avait servi à imprimer
le leur. Ce corps avait servi à imprimer ces corps, ces beaux exemplaires
d'hommes. Et maintenant, elle reposait brisée, mais comme une gangue
dont on a retiré le fruit. A leur tour, fils et filles, de leur chair,
imprimeraient des petits d'hommes. On ne mourait pas dans la ferme. La mère
est morte, vive la mère !
Douloureuse, oui, mais tellement simple cette image de la lignée, abandonnant
une à une, sur son chemin, ses belles dépouilles à cheveux
blancs, marchant vers je ne sais quelle vérité, à travers
ses métamorphoses.
Antoine de Saint-Exupéry. Terre des hommes. Gallimard, Pléiade.
1939. p. 257
Source : Célébrer la mort et les funérailles, Desclée,
1980.